07-04-2015
« L’essence du métier reste la même ! » selon Suzanne Brossard
Suzanne Brossard
Suzanne Brossard a fait ses débuts dans l’industrie en 1971, chez Travelaide, qui était alors une des deux plus grandes agences de voyages de Montréal (l’autre étant Voyages Ville-Marie). Pour les Brossard, le métier d’agent de voyages est inoculé dans les gènes : sa mère, Jeanne Brossard, travaillait chez Travelaide et, aujourd’hui, sa fille, Marie-Hélène Jacques, est directrice générale de Groupe Voyages VP.
En 1974, elle s’associait à un collègue, Réjean Rhéaume, pour fonder Voyages Fleur de Lys. « Nous avions loué un local rue Ste-Catherine, au-dessus du fameux restaurant Da Giovanni, qui était un incontournable, à l’époque, se souvient-elle. Une odeur de sauce à spaghetti flottait dans les bureaux, mais nous nous en accommodions. »
Au début des années quatre-vingt, l’agence déménageait dans un édifice appartenant à la Banque Laurentienne, au coin de Ste-Catherine et de McKay. « Nous étions alors une quinzaine d’employés et nous réalisions la moitié de notre chiffre d’affaires dans le secteur corporatif, raconte-t-elle. Nous avions de très gros comptes et, notamment, la Banque Laurentienne, les Assurances Desjardins et d’autres fleurons du Québec inc. »
À la même époque, elle entrait sur le conseil d’administration de l’ACTA et, en 1984, elle était élue présidente d’ACTA-Québec, une fonction qu’elle exercera pendant deux ans, et qui, de son propre aveu, lui a permis de nouer des contacts très fructueux avec les dirigeants des fournisseurs qui s’impliquaient alors très activement dans l’association.
« Lorsque l’ACTA organisait un événement ou une assemblée, il y avait foule, se souvient Suzanne Jacques. Les agents de voyages appréciaient le fait qu’ils pouvaient rencontrer des décideurs et nouer des relations fructueuses. »
En 1980, elle a, comme tous les agents de voyages de sa génération, encaissé le choc causé à la profession par l’irruption de Stan-Buy sur le marché et l’avènement des spéciaux de dernière minute. « Cela a été l’enfer, pendant trois ans, soupire-t-elle. Mais la question du prix a toujours été une des préoccupations importantes de la clientèle et nous avons appris à vivre avec. »
En 2000, Suzanne Bossard revendait son agence à Lucie Nobert qui, elle-même l’a revendue à la fille de la fondatrice, onze ans plus tard. En août 2013, Voyages Fleur de Lys fusionnait avec Voyages Professionnels pour devenir Groupe Voyages VP. Mais Suzanne Brossard continue à travailler dans l’agence comme conseillère quatre jours par semaine.
Elle déplore que les communications avec les fournisseurs, qui passaient souvent par la plateforme qu’offrait l’ACTA, se soient effilochées. « Un jour les détaillants ont décidé que l’ACTA devait être contrôlée par les agents de voyages uniquement et il y avait une logique à cela : les intérêts des deux parties ne coïncidaient pas toujours, admet-elle. Mais à mon avis ce fût une erreur. Le dialogue était plus facile et, surtout, plus constructif lorsque les dirigeants des fournisseurs étaient impliqués dans l’association. »
Le dialogue, elle s’emploie à l’entretenir avec ses clients. « Bien sûr Internet a changé les choses et aujourd’hui, la relation varie d’un client à l’autre, dit-elle. Ainsi, j’ai une cliente, elle-même fille d’anciens clients, qui sait précisément ce qu’elle veut quand elle vient me voir. Elle a tout trouvé sur Internet, elle me communique le résultat de ses recherches et je n’ai pratiquement rien à faire, sinon enclencher le processus de réservation et percevoir ma commission. Malgré tout, j’assure un suivi : je vérifie périodiquement si le prix n’a pas baissé avant le départ, et si c’est le cas, je contacte le fournisseur pour lui permettre d’en bénéficier. J’ai d’autres clients qui, eux, ne savent même pas où ils vont aller. Ils n’ont fait aucune recherche, ils me laissent le choix de leur destination et moi, je leur en propose deux ou trois et je leur demande de trancher. Ce n’est pas qu’ils soient réfractaires à l’Internet, au contraire, mais pour leurs voyages, ils fonctionnent comme ça. Et je n’ai jamais de plaintes. »
Lorsqu’on lui demande si elle a l’impression que le métier s’est dégradé, Suzanne Brossard, qui conserve une haute opinion de la profession, répond que ce n’est pas le cas. « Le métier consiste essentiellement à connaître ses produits et à établir et cultiver une relation de confiance avec la clientèle, dit-elle. C’était l’essence du métier voici trente cinq ans et cela reste l’essence du métier aujourd’hui. Ce qui s’est dégradé, c’est l’approche, la communication. »
Pour elle, la communication implique une relation humaine et aujourd’hui, le contact humain s’est un peu délité. Tant avec les fournisseurs qu’avec les clients, la communication transite de plus en plus par l’ordinateur, par Internet, par les téléphones mobiles et cela se fait, estime-t-elle, au détriment de ce fluide subtil qu’on appelle « le contact humain ». « La meilleure façon de minimiser l’impact de ce facteur est de nouer une relation de confiance avec ses clients. Et ça, avec ou sans Internet et les nouvelles technologies, c’est encore possible! »
Selon Suzanne Brossard, l’accent mis sur le rendement a également contribué à modifier les comportements entre collègues. « Voici trente ans, nous étions également évalués au rendement, mais une fois par année. Le bon gestionnaire examinait les chiffres à la fin de l’exercice fiscal et il constatait que le conseiller méritait – ou ne méritait pas – son salaire. Si les résultats étaient positifs, il accordait éventuellement une augmentation. Aujourd’hui, les conseillers sont presque exclusivement rémunérés à la commission et l’informatique permet de produire des rapports de gestion toutes les semaines, voire tous les jours. La pression sur la productivité est donc beaucoup plus forte. Lorsqu’on entre dans une agence, les conseillers sont beaucoup moins détendus. Ils ont les yeux rivés à leur ordinateur et on les sent tendus vers ce but ultime : produire. Le côté humain de la communication interne en pâti. »
Source : André Désiront, Pax Magazine, Vol. 2, No 2, mars 2015
Crédit Photo : Pax Magazine