25-01-2011
Échappée chez les Hadzabés – Le Devoir
Groupe Voyages VP
Publié le 22 janvier 2011 dans le Devoir – Voyage
Anne Michaud, collaboratrice
Le produit de la chasse étant hasardeux, les Hadzabés comptent beaucoup sur le travail des femmes.
Le soleil se lève à peine derrière les collines et le fond de l’air est encore frais, mais nous suons à grosses gouttes en tentant de suivre le rythme d’un petit groupe de chasseurs hadzabés, une des dernières tribus de cueilleurs-chasseurs d’Afrique de l’Est.
Lac Eyasi — Ils ne sont plus que quelques centaines, peut-être 1000 ou un peu plus, qui vivent en groupes de 10 à 30 individus dans un territoire montagneux s’étendant autour du lac Eyasi, au nord-est de la Tanzanie. Le mode de vie des Hadzabés est entièrement centré sur la quête du gibier, des fruits et des tubercules dont ils se nourrissent. Dans leur univers, il n’y a aucune place pour les gadgets de la vie moderne; même le téléphone cellulaire, par ailleurs si utile et populaire en Afrique, ne les intéresse absolument pas.
Les Hadzabés chassent avec des arcs qu’ils fabriquent eux-mêmes au moyen de branches et de tendons d’animaux; leurs pointes de flèches, qui sont parfois recouvertes d’un redoutable poison, sont fabriquées par les forgerons d’une tribu voisine, les Datongas. Alors que les jeunes garçons chassent à proximité du camp, les hommes, solitaires ou en groupes, s’éloignent souvent de plusieurs kilomètres pour débusquer le gibier. S’ils tuent une antilope ou un babouin, ils l’écorchent sur place et le rapportent au camp; s’ils abattent un buffle ou un autre gros animal, le groupe se déplace jusqu’à la bête pour se nourrir sur place. Si la bête est trop grosse pour être dévorée d’un coup, le groupe continuera de s’en régaler durant plusieurs jours, même lorsque la viande aura commencé à se putréfier.
On conçoit aisément que le mode de vie des Hadzabés est absolument incompatible avec l’accumulation de biens personnels; leurs possessions se limitent donc généralement à un couteau, une hache, un arc et des flèches, une pipe, une ou deux calebasses et quelques peaux d’animaux.
Toujours prêts à changer d’emplacement pour suivre le gibier, ils ne construisent que des abris extrêmement sommaires; durant la saison des pluies, ils se réfugient dans des troncs creux de baobabs ou dans les cavernes qui parsèment les montagnes.
On rapporte même que certains Hadzabés ont déjà élu domicile dans une carcasse d’éléphant qui leur servait à la fois de gîte et de buffet «All you can eat»!
Comme le produit de la chasse est toujours hasardeux, les Hadzabés comptent beaucoup sur le travail des femmes, qui sont chargées de récolter les fruits (particulièrement les «pains de singe» provenant du baobab) et les tubercules qui représentent la majeure partie de leur alimentation. De ce fait, les femmes occupent une place égale aux hommes au sein des groupes, qui vivent par ailleurs sans gouvernements ni lois. Cette importance des femmes se reflète dans la manière dont les couples se forment et se défont: une Hadzabée est libre de choisir l’époux qui lui plaît et de rompre cette union lorsque son partenaire ne la satisfait plus; un homme qui s’avère être un piètre chasseur aura donc beaucoup de difficulté à se trouver une épouse…
Pour notre rencontre avec les Hadzabés, nous sommes accompagnés par Alex Lemunge, l’un des meilleurs guides de toute l’Afrique de l’Est; il est lui-même secondé par Khalifani, un jeune homme de la région qui a appris à parler le hadza, une langue «à clics» faite de sons et d’onomatopées qui ne s’apparente d’aucune manière aux autres langues parlées en Tanzanie.
Nous arrivons au campement vers 6h30, alors que le soleil vient à peine de se lever. Une dizaine d’hommes et de garçons sont assis autour d’un petit feu; ils se lèvent pour nous accueillir, puis se rassoient et reprennent leurs discussions. Les femmes sont rassemblées un peu plus loin; quelques-unes d’entre elles fabriquent des colliers et d’autres objets décoratifs avec des perles, des piquants de porcs-épics et des tiges d’herbes creuses. Ces objets servent de parures aux membres du groupe ou sont vendus aux touristes, ce qui permet aux femmes d’obtenir un peu d’argent avec lequel elles peuvent se procurer des vêtements ou de la nourriture.
Au bout d’une quinzaine de minutes, les hommes et les garçons se lèvent, rassemblent les chiens (très utiles pour débusquer le gibier), empoignent leurs arcs et s’élancent dans la colline. Prenant à peine le temps d’enfiler nos sacs à dos, nous leur emboîtons le pas. Très rapidement, nous constatons que les Hadzabés ont une connaissance quasi organique du terrain sur lequel ils évoluent: ils courent pieds nus sur le sol rocailleux et se faufilent à travers les buissons épineux tout en étant à l’affût de tout ce qui bouge autour d’eux. Rien n’échappe à leur regard aiguisé; ils perçoivent le moindre bruissement d’herbes ou de feuilles, le moindre mouvement par terre ou dans les airs. Pour notre part, nous avons l’impression d’avancer à la vitesse des tortues; sans cesse empêtrés dans les branches épineuses (très justement surnommées «Attends un moment»), c’est à peine si nous arrivons à suivre le plus jeune chasseur, un garçon d’environ six ans!
Après une heure de course dans la brousse, tout à coup les chiens se figent: ils ont perçu la présence d’un animal dans un buisson. Les chasseurs tentent de débusquer la bête en plantant des flèches à travers les branches. La tension est très vive et tout le monde est en alerte. Le souper est à portée de la main! Après quelques manoeuvres, l’un des Hadzabés lance un cri et les chasseurs se déplacent de quelques mètres: l’animal, un écureuil, s’est réfugié dans un arbre. N’tale Malle, le chef du groupe, empoigne une hache et pratique une ouverture dans le tronc de l’arbre; il y plante une flèche sans pointe et embroche l’écureuil. Quelques soubresauts plus tard, la petite bête repose mollement, vaincue. Mais les Hadzabés n’en ont pas encore fini avec cet arbre: ils y ont aperçu des gouttes de miel, un produit dont ils raffolent et qu’ils échangent pour des pointes de flèches. Grimpant au tronc, N’tale Malle utilise son couteau pour extraire quelques rayons qu’un jeune chasseur nous offre dans ses mains d’une propreté douteuse; qu’importe les microbes, nous ne pouvons refuser l’offre et le miel est délicieux.
Deux heures plus tard et sans autre prise que le minuscule écureuil, les chasseurs reprennent le chemin du campement. Comme nous nous inquiétons de la maigreur de leur butin, Alex nous explique que les Hadzabés ont l’habitude de ces périodes de disette, surtout durant la saison sèche, et qu’ils se rabattent alors sur les fruits et tubercules récoltés par les femmes. En espérant que le lendemain, sans touristes dans les jambes, les chasseurs soient plus chanceux…
Même si la difficulté de s’alimenter est pour eux une préoccupation constante, les Hadzabés n’ont pour autant développé aucun rituel se rapportant à la chasse. D’ailleurs, l’une des particularités les plus surprenantes de leur culture, c’est qu’elle est totalement exempte de manifestations liées à la vie spirituelle; c’est une tribu qui vit sans prêtre ni chaman, qui n’invoque aucun dieu ni aucune divinité. Pour les Hadzabés, même la mort n’est entourée d’aucun rite particulier.
Jusqu’à récemment, la coutume voulait qu’on abandonne simplement les morts en changeant de campement; quant aux mourants, ils étaient laissés derrière avec une petite provision de viande qui, en se détériorant, attirerait rapidement les hyènes… De nos jours, le gouvernement tanzanien exige que les Hadzabés enterrent leurs morts, mais personne ne les suit dans la brousse pour voir s’ils le font vraiment.
Même s’ils vivent à l’écart du monde, les Hadzabés savent très bien qu’il existe d’autres modes de vie que le leur. Ils le savent d’autant plus que les activités d’agriculture et d’élevage des tribus voisines s’étendent aujourd’hui jusqu’au coeur de leur territoire, ce qui taxe dangereusement les réserves d’eau et fait fuir le gibier, menaçant ainsi dangereusement leur propre survie. Il semble inévitable que dans un proche avenir, les Hadzabés seront forcés de s’intégrer au monde qui les entoure et d’adopter un mode de vie moins anachronique.
En attendant, une visite chez les Hadzabés constitue une occasion extraordinaire de partager durant quelques heures la vie d’une tribu qui semble tout droit sortie de l’Âge de pierre!
Anne Michaud, collaboratrice du Devoir
Photos : Yves de Montigny
Ce voyage a été rendu possible grâce à la collaboration de l’agence Voyages Fleur de Lys / Dupuis (www.groupevoyagesvp.ca).