31-05-2019
À la découverte de la capitale culinaire d’Amérique du Sud
Charles Richer
Longtemps considérée comme une simple halte en route vers le mystique Machu Picchu ou la jungle amazonienne, Lima connaît une véritable révolution gastronomique qui donne aux visiteurs une excellente raison d’y séjourner.
C’est à la fois fébrile et un peu intimidée que je commande un taxi en direction du Central, le célèbre restaurant étoilé par le Guide Michelin du chef Virgilio Martinez. Je rêve depuis des mois à son menu dégustation axé sur les hauteurs péruviennes. Et j’ai été surprise de réussir à réserver une table pour six personnes. Le seul problème? En raison d’un vol retardé, la moitié du groupe n’a pu se rendre à Lima à temps.
Caché entre des immeubles d’appartements protégés et des bureaux professionnels, le restaurant affiche une plaque discrète sur le trottoir qui nous assure que nous sommes au bon endroit. Mal à l’aise, je m’approche de l’hôtesse pour expliquer notre fâcheuse situation. « Vous devriez inviter quelqu’un d’autre », rigole-t-elle, en nous rappelant à quel point nos places sont convoitées. Par chance, trois personnes attendent sur le divan à l’entrée, espérant qu’une table réservée se libère. Je leur propose donc de se joindre à nous. Une jeune femme pétillante de Guadalajara, au Mexique, bondit du divan, rapidement suivie par les deux hommes à ses côtés. Nous nous dirigeons tous ensemble vers la salle à manger lumineuse, puis montons les escaliers pour nous rendre jusqu’à une jolie table en pierre tachetée.
Nous laissons nos compagnons commander le vin, et déjà, les plats commencent à se succéder. Des pierres, des bâtonnets, de la muña et de la poudre d’une algue inconnue agrémentent presque tous les plats, dans lesquels on retrouve également du quinoa, du maïs, des pommes de terre, de l’oursin, du calmar, des tamarillos, de l’alpaca et des fruits de palmier. L’idée est de fouiller pour trouver la nourriture comme les autochtones péruviens le faisaient auparavant. Cette expérience rafraîchissante repousse les limites de la fine cuisine.
Il s’avère que le chef Martinez sert des ingrédients dont les autres chefs n’ont même jamais entendu parler. Sa sœur, Malena, et lui ont parcouru les divers écosystèmes du Pérou et rencontré des producteurs de partout au pays avant de concevoir le menu. Au 17e service, j’avais voyagé de la côte du Pacifique jusqu’aux Andes, en passant par le désert et l’Amazonie.
Nos nouveaux amis suggèrent ensuite de nous amener à un endroit pour déguster un pisco sour, au Cala, un resto-bar huppé au bord de l’eau. Une bruine se met à tomber, mais nous apprécions tout de même la vue sur le littoral rocheux en sirotant nos boissons acidulées, quoiqu’étonnamment douces, confortablement installés au bar. Le moment venu d’accélérer le rythme un peu, nous nous rendons dans le chic quartier des arts de Barranco, où se trouve le bar Ayahuasca, situé à l’intérieur d’un magnifique manoir colonial restauré. Nous commandons un autre délice péruvien préparé avec du pisco, des feuilles de coca et de la carambole. Il n’en fallait pas plus pour m’imprégner de l’esprit bohémien de l’un des bars les plus courus en ville, tout en dévorant à belles dents une brochette d’anticuchos.
Il y a dix ans, personne ne se serait attendu à une telle histoire au sujet de Lima. Pour les voyageurs, la ville était une simple halte en route vers le majestueux Machu Picchu ou l’exotique Amazonie. Maintenant, depuis que le reste du monde a la chance de découvrir les mets péruviens grâce à des restaurants comme le LIMA du chef Martinez, à Londres, la capitale offre une panoplie d’établissements de renommée mondiale qui expérimentent de nouvelles façons de célébrer la cuisine nationale. Aucun restaurant péruvien ne figurait sur la liste si convoitée des 50 meilleurs restaurants au monde lorsqu’elle a été publiée pour la première fois en 2002, mais deux d’entre eux se sont taillé une place parmi les dix meilleurs en 2018. Et cette année, en plus de son propre restaurant phare qui se trouve maintenant en 39e position, Gastón Acurio a reçu le prix Diners Club Lifetime Achievement. Il est considéré par plusieurs comme le chef ayant propulsé la cuisine péruvienne et promu l’excellence gastronomique du pays à l’échelle mondiale.
Par chance pour nos amis, nous avions réservé une table au Astrid y Gastón également. Ce restaurant est situé dans une imposante hacienda illuminée, à San Isidro. Dès le début du repas, en voyant les amuse-gueules servis sur une planche de pierre brute, nous comprenons que la présentation sera tout aussi intéressante, quoiqu’encore plus raffinée, dans cette institution de 23 ans. Le clou de la soirée arrive toutefois quelques services et près d’une heure plus tard lorsqu’on nous sert à chacun un plat bleu sarcelle contenant un seul taco garni de cochon d’Inde à la pékinoise. Alors que le Central m’a fait vivre une expérience hors du commun et futuriste, Astrid y Gastón m’offre le souper le plus raffiné que j’ai eu la chance de vivre.
Assez étrangement, nous convenons tout de même que la meilleure nourriture que nous avons mangée à Lima était le plat à 7 $ composé de ceviche, de fruits de mer frits et de riz d’un petit comptoir modeste offrant seulement huit places sur une rue bruyante du quartier un peu malfamé de Surquillo. Le repas était si délicieux que nous y sommes retournés une deuxième fois. Cette diversité est l’une des raisons qui rendent la popularité culinaire du Pérou si spéciale. La nourriture de rue et les menus de dégustation élégants sont préparés avec le même soin. Ils incarnent à la fois l’histoire de la ville et la diversité du pays, tout en demeurant accessibles aux nouveaux venus. Je suis choyée de faire partie de cette soudaine explosion de passion culinaire.
Par Elizabeth Smith pour le magazine Bons vivants.